Olivier

Aug 3, 2025

l’air - la terre

Une question de l’équilibre

Il est midi. J’étais presque prête à déclarer la journée terminée - 10 km de route et un camping tranquille au bord du lac - lorsqu’arrive une confirmation via Warmshowers, avec un concert sur la plage de Vincent. Ça sonne si bien: j’ai un objectif. Il ne me reste qu’à passer une nuit pour avoir un lit sûr, une douche et un concert. Parfait.
Alors je force ma motivation boiteuse à reprendre le vélo.
 
Pendant que je roule, un bruissement se fait entendre derrière moi. Je perds toujours des trucs, et j’ai peur que cette fois ce soit mon baguette que j’ai coincée sur le porte-bagages. Ce n’est qu’un cycliste, et je dévie légèrement vers la droite pour le laisser passer. Avec un sourire, un mec de mon âge apparaît, croquant une baguette à pleines mains. Le guidon semble là juste pour la déco. «Don’t worry, I didn’t steal your baguette», dit-il en souriant.
 
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Son équipement, sa stature et son style de conduite montrent clairement que le sport fait partie de son quotidien. On discute rapidement, et ma supposition se confirme.
Depuis l’enfance, Olivier pratique tous les sports imaginables dans les montagnes suisses.
Il a 29 ans, vient d’un petit village de la Suisse alémanique, et a travaillé ces dernières années comme enseignant auprès de personnes migrantes.
Même s’il aime son métier, il ne peut pas avancer vers ses 30 ans sans avoir fait un grand voyage. Il planifie plusieurs mois sur la route, avec divers objectifs dans des paysages spectaculaires pour grimper et randonner. Le surf et les courses cyclistes figurent aussi sur sa liste. Il est parti depuis seulement une semaine, mais les premiers jours, il a parcouru environ 200 km par jour. Je comprends l’attrait: explorer le possible et tester ses limites.
Et je réalise de plus en plus qu’au cours des derniers mois, mon Logos m’a un peu échappé, et ça me manque profondément.
Mais la question est: comment cela s’accorde-t-il avec mes plans…
J’imagine que l’un des sens de son voyage est de repousser ses limites avant ses 30 ans. Même si je peux pas m’empêcher de lui expliquer que cette obsession de l’âge est surfait, je trouve que se fixer des points forts dans sa vie - qui motivent à sortir de sa zone de confort et à exploser ses limites - est une bonne chose.
 
Il est midi et Olivier a déjà 110 km derrière lui. Pour ma part: un petit déjeuner tranquille, une heure de désespoir et réflexion, une heure de trompette, une heure au téléphone avec Miren, et 10 km de route. Mais à côté d’Olivier, je me surprends à rouler à un rythme que je ne me connaissais pas. Je suis étonnée, et heureuse de la vitesse à laquelle je parcours la route.
 
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Après deux heures, nous débouchons sur un lac presque idyllique pour ici. J’en profite pour faire une pause repas et baignade.
Olivier incarne clairement un caractère Air–Terre: la recherche de liberté, l’envie constante de découvrir le neuf. Sa Terre lui offre des bases solides, une confiance sûre, des routines. Dans sa pensée, tout est clair et structuré. Malgré sa sensibilité et son grand cœur envers l’homme et la nature, il sait instaurer une distance émotionnelle, perceptible aussi dans sa communication très claire. Cela, marié à ce Logos qui est clairement le moteur de sa tournée, lui permet d’avancer efficacement.
Nous avons le même objectif d’étape, et je me réjouis cette nuit d’avoir la présence rassurante d’une deuxième personne. Ce n’est pas la même chose que dormir la tête avec spray poivre ou avec la toile de tente que je tends toujours même par des nuits chaudes, pour qu’on ne voie pas qu’une femme y dort.
 
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des routines

Olivier a des routines très claires, si naturelles pour lui qu’il doit bien rire de voir combien ca m’impressionne. Depuis mon déménagement à Lyon, je n’ai plus aucune routine. Et après que cette tournée soit culminée comme ma révolution de feu, je sens que mon besoin de Terre réapparaît.
Les routines nous stabilisent. Elles offrent certitude, confiance. Elles allègent notre cerveau. Automatisées, ces actions ne demandent plus de décision consciente, et libèrent de la capacité mentale pour d’autres choses.
Donc désormais je me brosse les dents avant de partir, pas quand ma brosse m’attire. Je m’étire le soir, je lave ma casserole tout de suite après le repas, et je bois régulièrement beaucoup d’eau.
 

Des interactions sociales

Pour le petit-déjeuner, nous atteignons le joli village de Contis et nous installons dans un café animé. Très vite, nous entamons la conversation avec les tables voisines. Après un café, je sens vier veut repartir. Seule, j’aurais prolongé l’échange ou joué de la trompette, mais sur le moment je suis reconnaissante pour cet élan, et nous repartons ensemble.
Il me demande pourquoi je ne porte pas de lunettes de soleil. Je déteste les lunettes de soleil. Elles coupent le contact visuel.
J’aime saluer les cyclistes que je croise. Observer la diversité des gens en route est fascinant. Je trouve particulièrement drôle ces hommes super sportifs et ambitieux: objectif en vue, quoi qu’il arrive. Les saluer est très cool. Le regard reste baissé, mais un geste de la main clair, routinier, montre qu’il m’a vue et que nous nous comprenons. Selon mon humeur, je réponds avec un hochement de tête sérieux, ou j’essaie de les surprendre d’un joyeux «Bonjoour». Le plus souvent, sans résultat.
J’imagine qu’Olivier en fait souvent partie. En tout cas, il se réjouit de voir la beauté d’un sourire partagé et décidé de le faire plus souvent. Je suis heureuse qu’il vive la magie du sourire et je me demande tout de même si, pour la santé de mes yeux, je ne devrais pas revoir mes priorités…
 

L’entretien du vélo

Alors que le sujet principal dans ma tête est la nature humaine et toutes ses émotions et gestes, Olivier me rappelle qu’il est peut-être temps de méditer un peu sur ma chaîne. Pour la première fois, je nettoie et huile ma chaîne. Je me sens comme une pro et suis fière comme une enfant.
Je réalise aussi que j’utilise ma transmission 2×9 comme une 1×9, ni la chaîne, ni mes jambes ne sont ravies. 2×9 semble d’une complexité incroyable pour mon cerveau - j’avoue que j’ai évité de m’y pencher. Dans les jours suivants, je m’efforce de m’orienter dans mes vitesses et je reçois quelques nœuds dans ma pensée. Mais ça vient…
 

Au revoir

L’après-midi, nos routes se séparent.
Depuis le matin, nous sommes sur une moyenne de 20 km/h. Pause petit-déj, pause collation, pause déjeuner. Entre les pauses, un pédalage constant. Nous sommes visiblement heureux de ces deux jours de changement. Oli constate que «passer les jours détendu, ça peut aussi être vraiment amusant». Il appelle ça «récupération active»… Et j’ai redécouvert un Logos en moi que j’avais un peu perdu ces derniers mois. Mais nous savons tous deux que nos voyages poursuivent des objectifs différents, même si le mien me semble plus flou que jamais.
Alors nous nous quittons avec émotion, et je réfléchis à comment sortir seule de mon mode rampes.
 
Le beau des relations interpersonnelles est dans les différences. Lorsque des personnes se rencontrent avec leurs pensées et leurs façons d’être différentes, des choses peuvent naître, plus grandes que chaque individu.
Mais comme je suis en solo-tour et que je n’ai pas encore réussi à embarquer mes ami·e·s pour une tour de vélo et trompette, je dois maintenant trouver un peu de clarté et de structure par moi-même.
 

Tour

La clarté et la structure ne seront peut-être jamais mes points forts, mais je sais que j’ai bien un Logos puissant en moi (si je parviens à dépasser mes doutes).
La question est: comment le activer  ?
La force du Logos a besoin d’une direction. Sa base est la détermination.

Mais quel est mon objectif ? Quelle détermination ?

Les kilomètres ne sont certainement pas mon but. J’ai tout testé : beaucoup rouler, peu rouler, montagnes, gens, solitude, ville, campagne, musique de rue, jouer seule, plus trompette, plus vélo, plus écrire…

Alors quel est le sens de mon voyage et que faire ensuite ??

Les gens. Je veux rencontrer des personnes (moi y compris). Je veux comprendre la diversité de l’humanité (autant que possible…). Dans les foules touristiques de la côte Ouest, je ne peux ni rencontrer vraiment les autres ni moi-même. Du moins rarement dans l’intensité et l’authenticité que mon cœur désire.
 

Comment le Logos s’y insère-t-il ?

 
  1. Je cesse de m’attarder sur l’Atlantique.
Même si je rêve depuis des années de vacances de surf intenses, je dois admettre que ce ne sera probablement pas pour ce voyage. Il faut que je quitte le tourisme pour retrouver la nature.
 
  1. Quand je roule, je roule.
Je m’impose un rythme dont je sais maintenant qu’il est possible pour moi. Je fais des trajets plus longs sans pause et je rentre au moins un peu dans le mode sérieux des super sportifs qui saluent d’un geste cool. Parce que je me prends au sérieux.
 
  1. L’objectif dans la ligne de mire.
Un objectif peut servir de corde invisible, concentrer notre attention et nous tirer vers l’avenir. Mes objectifs changent d’heure en heure mais ces objectifs horaires peuvent déjà m’aider à ne pas me laisser distraire par chaque brin d’herbe. Que je joue de la trompette ou que je pédale, dès que l’objectif est défini, je l’ancre dans ma conscience et ne le lâche plus.
 
  1. Clarté du sens de ma tournée.
Pédaler – gens – trompette. Être curieuse, rester ouverte, écouter, intégrer. Explorer ce que je ressens - ce que ressentent les gens avec qui je parle - et trouver des mots et de la musique pour cela.
 

La trompette

C’est la même chose que pour le voyage. Depuis quelques mois, il me manque le « pourquoi ». Pourquoi est-ce que je veux m’investir à fond ? Mon objectif à long terme est clair.
Mais quand même :
Pourquoi est-ce que je veux être une bonne trompettiste ? Pourquoi est-ce que je veux faire encore et encore tout ce travail pour devenir toujours meilleure ? Pourquoi ??
 
Olivier m’offre une chanson avant mon départ, et cette chanson porte précisément ma réponse: Fever to the Form - Nick Mulvey.
Donner une forme au bouillonnement. Transformer l’étrange en quelque chose de tangible et clair.
 

La monde des émotions que j’explore:

Je veux la partager. Toute ma vie, je suis submergée par un cerveau qui n’arrête jamais de penser. Qui ne me donne aucun moment de silence. Des émotions si fortes qu’en sortir semble impossible.
Alors je dirige ce qui se passe vers une direction productive. Je réfléchis à ce qui peut (à mon avis) rendre le monde meilleur. Je plonge dans chaque émotion, et je partage ce que j’y découvre dans ma musique et mes textes.
Pour cela, je mets tout ce que je fais - chaque conversation, chaque sentiment, chaque pensée - au service du don total à la vie. Pour rendre visible ce monde émotionnel trop longtemps banni dans l’ombre, pour unir deux mondes qui se sont battus trop longtemps l’un contre l’autre.
Alors je reprends la route. Je m’engage. Je quitte la zone de confort avec toutes ses options séduisantes, sa sécurité, son évidence apparente.
Pour rencontrer la vie, les autres et moi-même dans une vérité qu’on ne trouve qu’au calme de la nature.
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