«Prends-moi au sérieux»
«Prends-moi au sérieux !» crie la voix dans ma tête depuis de nombreuses années.
C’est la voix d’Inès, celle qui a longtemps essayé de trouver sa place dans des systèmes qui ne lui correspondaient pas.
Elle a tenté de penser, parler et ressentir d’une manière qui ne venait pas d’elle, mais qui était imposée de l’extérieur comme norme.
Il m’a fallu du temps pour comprendre que le problème résidait exactement là: au lieu de suivre mon propre chemin, j’essayais de suivre ceux des autres, sans réaliser que ces chemins n’avaient rien à voir avec moi.
Je désirais tellement être «normale» que je ne voyais pas les opportunités que mon anormalité pouvait offrir.
Comme nous nous traitons nous-mêmes, ainsi nous sommes traités par notre environnement.
Lorsque, pendant mes études, j’ai commencé à me fixer des objectifs pour lesquels il était essentiel que mon entourage me prenne au sérieux en tant que trompettiste et personne, je me suis donc posée la question:
Qu’est-ce qui m’empêche de me prendre au sérieux ?
Qu’est-ce que ça signifie de prendre quelqu’un au sérieux ?
Se prendre au sérieux, c’est se faire confiance. C’est croire que nos actions ont du sens. C’est traiter notre savoir-faire et notre être avec respect, sans se diminuer.
Qu’est-ce qui m’a empêchée si longtemps de me prendre au sérieux ?
Qu’est-ce que m’a empêché si longtemps de me prendre au sérieux ?
- Travailler dans le mauvais domaine de compétence
Notre société est encore construite de façon à ce que notre effort pour nous améliorer se concentre surtout sur le niveau P1, sans vraiment percevoir ses liens avec P2. (Plus d’infos dans l’article «Développement sur les deux niveaux»)
Cela peut fonctionner pour certains. Pour moi, ce n’était pas le cas.
Il s’agit donc de reconnaître pleinement les compétences émotionnelles, car mes passions se situent sur le plan P2. Tant que je me concentrais surtout sur mes difficultés en P1, plutôt que de valoriser mes forces en P2, mon attention restait sur mes manques plutôt que sur mes capacités.
Cela peut fonctionner pour certains. Pour moi, ce n’était pas le cas.
Il s’agit donc de reconnaître pleinement les compétences émotionnelles, car mes passions se situent sur le plan P2. Tant que je me concentrais surtout sur mes difficultés en P1, plutôt que de valoriser mes forces en P2, mon attention restait sur mes manques plutôt que sur mes capacités.
- Compétence technique - vue d’ensemble
Notre société valorise la spécialisation et le suivi d’un seul chemin. Les compétences techniques sont essentielles, mais ce qui manque souvent, ce sont des personnes capables de voir le panorama global, de relier ce qui semble déconnecté.
Il y a ceux qui voient les détails et ceux qui saisissent l’ensemble. Aucun des deux n’est supérieur à l’autre, mais les deux sont nécessaires.
Il y a ceux qui voient les détails et ceux qui saisissent l’ensemble. Aucun des deux n’est supérieur à l’autre, mais les deux sont nécessaires.
- Respect fondé sur la compétence et le statut
Souvent, le respect qu’on nous accorde dépend de notre performance.
Cela signifie que le respect est donné à la personne pour son rôle dans le jeu social, et non pour la personne elle-même.
Cela signifie que le respect est donné à la personne pour son rôle dans le jeu social, et non pour la personne elle-même.
Nous nous privons ainsi de la possibilité de quitter temporairement ce rôle, et il en va de même pour notre relation à nous-mêmes.
- Les émotions vues comme une faiblesse
Il est crucial de prendre nos émotions au sérieux. Il faut distinguer clairement action et émotion.
Prendre ses émotions au sérieux, c’est les laisser être, les ressentir, écouter les pensées qui les accompagnent, sans lutter contre elles. Ainsi, on peut peu à peu les comprendre et agir depuis un espace où elles peuvent être communiquées consciemment.
Prendre ses émotions au sérieux, c’est les laisser être, les ressentir, écouter les pensées qui les accompagnent, sans lutter contre elles. Ainsi, on peut peu à peu les comprendre et agir depuis un espace où elles peuvent être communiquées consciemment.
Nous avons appris à fonctionner et à produire, mais non à ressentir.
Les femmes ont été étiquetées d’«hystériques», les enfants dressés à l’obéissance, les hommes à réprimer leurs émotions.
Prendre nos émotions au sérieux leur donne un espace. L’humain est fondamentalement irrationnel; nos actions sont guidées par l’inconscient. Ignorer nos émotions, c’est laisser notre passé gouverner notre vie.
En les écoutant, nous connectons conscience et inconscient et reprenons la maîtrise de notre existence.
L’humanité comme une course de chevaux
Il y a les chevaux qui arrivent vite et brillamment à l’arrivée. Beaucoup pensent que c’est l’objectif principal. Moi aussi, longtemps.
Certains chevaux aiment courir vite et briller, et c’est parfait. Mais il y a aussi ceux qui, malgré tout le faste, ne sont pas heureux à l’arrivée.
Puis il y a ceux qui n’arrivent peut-être jamais, mais qui savourent chaque instant de la course et répandent un bonheur contagieux. Certains motivent les autres à atteindre l’arrivée, d’autres inspirent par leurs découvertes.
Je suis plutôt un cheval mixte: entre sprint, grandes découvertes, longues phases lentes sans pauses et détours gigantesques, tout est possible. Je peux arriver sale et boiteuse, mais tant que c’est mon but, j’y arriverai. Avec un cœur rempli de joie.
Il existe autant de manières de courir cette course qu’il y a d’individus, chacune mérite respect et reconnaissance. L’essentiel est de découvrir quel cheval nous sommes.
C’est ainsi que nous pouvons vivre pleinement, et pas seulement survivre.
Le tour
Jour 55. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui je suis en colère. Hier avait été une belle journée: j’avançais bien, les montées me stimulaient, les conversations étaient agréables, et le soir, je suis tombée sur un cinéma-concert. J’ai passé ma deuxième nuit à la belle étoile. Que demander de plus !
Et pourtant, aujourd’hui, une colère indéfinissable bouillonne en moi, qui éclate pour le moindre rien. Une colère qui envahit tout mon corps, parcourant chaque muscle d’un «NON» retentissant. Je n’ai qu’une seule montagne à franchir. Une montagne qui ne devrait plus poser de problème, mais aujourd’hui, elle me paraît insurmontable. Tout mon corps crie d’arrêter, de jeter le vélo et de hurler. Sans raison apparente.
«Prends-moi au sérieux», c’est le titre de un article que j’écris depuis quelques jours… alors je me prends au sérieux. Je m’assois sur un superbe point de vue au bord de la route, après l’avoir atteint en poussant le vélo, et je ne fais rien. J’écoute ma colère, laisse mes pensées vagabonder, contemple les montagnes de l’Ariège et me laisse être en colère.
Les images et pensées viennent et repartent. Puis je décide qu’il est temps de prendre un café et un croissant à Mirepoix. Une demi-heure plus tard, je suis assise dans un café, tournée à l’écart des gens, sans envie de parler. Après quelques minutes je commence à écrire, à chercher mes mots pour des textes et rencontres encore flous. Deux heures passent entre réflexion et écriture, puis je reprends la route.
Je suis lente. Toutes les cinq minutes, je m’arrête parce que des pensées pour des textes me viennent à l’esprit. Quand je décide enfin de me couvrir un peu, je découvre un tunnel génial et je pratique la trompette pendant une heure avant de continuer à avancer péniblement. Une heure plus tard, je me retrouve à Montbel, regardant le lac avec perplexité. Je suis en train de peser toutes mes options pour manger et me baigner, quand j’entends une voix derrière moi : «De l’autre côté, c’est plus tranquille !»
Je me retourne et vois un homme d’environ 43 ans et son fils de 12 ans sur des VTT.
«aujourd’hui il y aura un concert là bas. Des amis de moi qui jouent. L’électronique et le saxophone.»
Vince et son fils font une petite sortie en camper et VTT. Sur un coup de tête, je décide de ne plus avancer aujourd’hui et de planter ma tente derrière leur camping-car.
Deux heures plus tard, je danse lors d’un super concert au bord du lac. Pendant que mes pensées continuent de murmurer en arrière-plan, je me perds avec gratitude dans mes mouvements au rythme de la musique et je comprends que ces jours-là sont tout aussi importants que ceux où je parcours des kilomètres.
Ma vague d’émotions et de pensées me submerge parfois avec une telle intensité que, lorsque je joue de la trompette, je me sens plus une observatrice passive qu’une trompettiste. Ces jours-là, aucun beau son ne sort de mon instrument. Et quand il en sort, je le loupe.
Pour moi, cela fait partie de moi. Ce sont des jours où je pense, je ressens et j’écris. Des jours où la trompette passe au second plan pour laisser la place à quelque chose qui réclame d’être entendu.
Et puis il y a des jours de clarté. Je réussis à organiser mon quotidien, à m’entraîner, à jouer et à gérer encore cinq autres choses.
Les deux ont leur légitimité.
Notre société est pensée autour de la performance et de la fonctionnalité. Pour moi, il s’agit de donner aussi de l’espace à ma vague d’émotions, en parallèle de la quête de performance.
D’écouter mon cœur et de le prendre au sérieux.
C’est seulement ainsi que je trouve ce que je veux exprimer dans ma musique et dans mes mots.
C’est seulement ainsi que je trouve ma place dans ce monde.